Tirer un trait sur le passé : j'ai raté mon bac

Parfois, j’aimerais oublier.  Oublier les expériences traumatisantes de ma vie. Mais, même à 38 ans, je ne peux pas. Pour un hypersensible,  qui plus est hyper...mnésique, oublier quelque chose est très difficile. Je ne peux qu'apprendre à vivre avec. Bien que plus de 10 ans après, je ne me suis toujours pas fait à l'idée que j’ai eu un cancer à 26 balais, et le fait que ça aurait pu m’emporter dans la tombe, et que je trouve ça vertigineux et que je me rappelle de (presque) tout. Mais il y a autre chose que je ne peux oublier et qui fait partie de mes plus grands traumatismes. Le Baccalauréat. Du moins, la première fois que je l'ai passé.

Le baccalauréat : une épreuve, au sens propre comme au figuré


Alors voilà. C'était en 2000, au "tournant du siècle" comme diraient des journalistes en mal de périphrases. J'étais en Terminale L au lycée Voltaire situé dans le quartier de La Source, à Orléans. J'étais un élève sérieux, mais qui ramait pas mal. En gros, les bulletins disaient : "élève sérieux, dommage que les résultats ne soient pas à la hauteur des efforts fournis". En gros, j'oscillais entre 8 et 12-13 de moyenne. La philo, c'était passionnant, mais la prof, qui était notre prof principale, notait très sévèrement les dissertations. Je ne savais pas qu'il fallait avoir écrit des bouquins pour avoir un bon style, chose qu'elle me reprochait souvent lorsqu'elle rendait mes dissertations. Et pas qu'à moi d’ailleurs...  C'est vrai que parfois elle semblait oublier que nous étions des néophytes en philo... Même si ses cours étaient vraiment intéressants. Sans doute une des profs les plus intéressantes du lycée. Et en série Littéraire, c'était 8 heures par semaine.  Mais je ne m'intègre que difficilement dans cette classe, où l'ambiance n'était pas forcément des plus joyeuses.
Bref, fin du troisième trimestre. Le bulletin arrive, avec en dessous, un avis pour le bac. Des trois garçons de la classe, (pour 25 filles) j'ai eu droit à la mention "Avis assez favorable".  C'est à dire que la mention en dessous, c'est " Doit faire ses preuves", ce qu'ont eu les deux autres, si ma mémoire ne me trahit pas. J'y reviendrai plus tard. Mais au fond de moi, j'avais ce sentiment de "ça passe ou ça casse". Et autant le dire tout de suite, ça a cassé.

Bref, le bac, cette institution, se passe dans un autre lycée que le nôtre, au cœur d'Orléans. Une semaine d'écrits, d'oraux, bref, on sait tous comment ça se passe. Et déjà à l'époque, on entendait qu'on le donnait à tout le monde. Vraiment ? Si ces personnes savaient...
En ce qui me concerne,  je pars avec un handicap certain. Le bac français, passé l'année d'avant, je me traîne les notes comme des boulets parce que j'ai eu 7/20, coefficient 3 à l'écrit et 8/20 coefficient  2 à l'oral. Je me demande encore comment j'ai pu avoir d'aussi mauvaises notes, même si l'examinatrice de l'oral, une vieille peau pas sympa en plus, me donne le texte que j'avais barré de la liste, du livre que j'ai eu et ai toujours en horreur : le texte sur les Cerises, tiré des Confessions de Rousseau. Le pire pour la petite histoire, c'est que ma neuropsy me dira en octobre dernier, qu'elle y a aussi eu droit,  à ce livre,et pourtant, elle était plus jeune que moi.

Un premier verdict sévère et un rattrapage surréaliste

Bref, je ne pars pas favori. Le 5 juillet 2000, l'équipe de France de foot a remporté l'Euro le week-end d'avant. Moi, je remporte... le droit de passer au rattrapage, avec 8,34 /20 de moyenne soit 55 points rattraper.  Le bulletin, sur papier carbone, est implacable. 6 en philo. Coeff 7 ça ne pardonne pas. Donc, en bas, je vois marqué en dactylographié "Premier groupe passe second groupe", désignation officielle pour le rattrapage, et j'ai moins de deux jours pour réviser.  Ma mère est consternée. Pour elle, c'est mission impossible. Trop de points, trop choses... J’ai beau lui expliquer que si c'était vraiment impossible, ils n'admettraient pas à partir de 8/20, elle n'en démord pas.  Je me souviens que la radio que j'écoutais alors passait une chanson du groupe Fragma, Toca's Miracle, dont le refrain disait "I need a miracle". A croire que les ondes voulaient m'angoisser encore plus...

Je passe donc au rattrapage le 7 juillet de cette même année. Ne sachant pas dans quel ordre passer mes épreuves, je décide d'aller à celle de philosophie en premier. Le lycée est quasiment désert et seuls les candidats au rattrapage sont là. Une chance dans mon malheur, les deux autres garçons sont également à ces épreuves de second groupe, mais j'ignore ce qu'ils ont choisi.

Jamais je n'oublierai l'examinateur de l'oral de philo. Un type assez jeune, mais cheveux en bataille, jeans troué et clope au bec. Un vrai baba cool. Bref, il me demande mon nom, vérifie sur sa liste, et  me fait entrer. Il me choisit un extrait de La Lettre à Menecée, d’Épicure.  Bien évidemment, j'ai vingt minutes de préparation de texte, préparation interrompue deux minutes par une dame qui entre dans la classe et dit tout fort :
"Monsieur P. est-il là ?" 
Je me signale. Elle me dit :
"Je vous ai attendu pour l'oral d'allemand, vous n'êtes pas venu donc ? "
Je luis explique que ne sachant pas dans quel ordre passer les épreuves, j'ai opté pour la philo en premier.
"Ah, bon, d'accord je vous attends après, donc, parfait." Et elle ressort.
Bref, je passe devant l'examinateur de philo. Tandis que je dis mes explications tant bien que mal, je le vois qui note une seule chose : le mot "ataraxie". Le reste du temps, il m'écoute benoîtement en fumant non pas une clope... mais un pétard, en réalité. L'odeur, ce n'était clairement pas du tabac.
Puis viennent les questions : déjà expliquer le mot "ataraxie". Je n'ai pas de notions de grec ancien, mais je parle de désirs naturels et non-naturels comme dans la définition épicurienne. Puis après, la question inattendue : " Je vois que vous avez étudié Freud au cours de l'année. Quelle comparaison pouvez vous faire entre les thèses d’Épicure et de Freud ?" Là, je panique complètement. Avait-il le droit de poser ce genre de question ? J'essaie de faire un parallèle, sans trop y croire. Lui écoute, et ne note absolument rien. Puis une fois que j'ai terminé, il me dit :
"Je ne vous dis pas votre note, je déciderai plus tard."
Super... je ne sais pas combien de points il me faut pour l'épreuve suivante.
Je vais donc rejoindre la prof d'allemand. Là, elle m'explique que je suis le seul élève de mon jury à passer cette matière pour avoir des points en plus. Elle est sympa et pas méchante en me donnant un document fait de publicités à analyser. En gros, si je l'avais passée en premier, elle aurait pu rentrer plus tôt... Je me débrouille comme je peux, je construis des phrases, et elle m'encourage.
Elle me dit "c'est bien tout ça, mais faites attention à la place du verbe dans les subordonnées." C'est vrai que c'était une de mes hantises, mais il n'empêche. Elle raye le 9 et y met dans la colonne "second groupe" du bulletin un 14. Pas si mal... Elle me demande si je connais ma note de philo. Je lui dis que non. Elle analyse mon bulletin et me dit : " avec le 14 que vous venez d'avoir, il vous faut un 11 en philo pour avoir votre bac."

Elle me souhaite bon courage. Je passe le reste de l'après-midi avec une fille de l'autre terminale L, elle aussi admise au rattrapage, et sympa comme tout. On se soutient comme on peut entre candidats du second groupe, d'autant que  nous nous croisions fréquemment.

Le couperet


Vers 18 heures, on se dit que les jurys ne devraient plus tarder à publier les résultats. Même pas. Les premiers résultats arrivent à 19h30. Heureusement, il fait jour tard et pas froid en juillet. Mon jury est le dernier à publier les résultats, vers 20 heures. Mon nom ne figure pas sur la liste des admis, je me cherche et alors que des cris de joie se font entendre, je m'effondre en larmes et personne n'est là pour me réconforter. Que s'est-il passé ? Lorsque je reçois mon bulletin, le verdict tombe. Le 14 en allemand est bien là. Mais en philo, au lieu du 11 espéré, je n'ai eu qu'un 8.  J'échoué à 9,65/20 de moyenne. Et je pense que la mention a joué.  Un "assez favorable", ce n'est pas suffisant, même si vous êtes décrit comme sérieux, pour arrondir la note. Pour " favorable" ou "très favorable" , on pourrait penser à un accident et donc, donner le diplôme et les quelques points qui manquent... Mais pas moi.
J'appelle mon père, qui m'avait prêté son portable, il était le seul à en avoir un. Un truc assez antique de Philips. Je lui dit que ce n'est pas bon, que je n’ai pas eu le bac.
Il me récupère une demi-heure plus tard, en larmes. Il tente de me dire que je ne suis pas le premier à le rater, ni le dernier, ça ne change rien. Et on ose dire qu'on le donne à tout le monde? Je me sens nul. Nul et seul. Un sentiment amplifié par une mère qui me réserve un accueil glacial. Qui me dit que c'est miraculeux, sur un ton ironique. J’ai trop honte, je monte dans ma chambre. Je l'entends pleurer. Pourtant, elle, son bac, elle l'a eu depuis longtemps.
Pendant 10 jours, elle me mène une vie d'enfer, m'engueule tout le temps. Pour la moindre chose. Je reste à l'étage, sur ma console, à jouer à Final Fantasy VII pour la énième fois. Mon père tente de faire le tampon entre elle et moi. Cela n'a pas dû être facile pour lui non plus. Une amie de ma mère me réconforte par téléphone, elle avait appelé alors qu'elle était sortie, je lui explique ma détresse. Elle passe deux heures à me réconforter, de me dire que j'ai perdu un an, tant pis, mais que dans une vie, surtout à 18 ans, ce n'est rien. Je me sens un peu mieux, c'est vrai. Ma mère ne se calmera que lorsque nous descendons dans le Tarn passer quelques jours de vacances, et je pense que mon père avait dû lui parler. Même s'il l'a toujours nié. 
Il n'empêche, si quelqu'un m'avait affirmé pendant cette période que "on donne le bac à tout le monde", je crois bien que je lui aurais mis un taquet sous le coup de la colère et de l'échec. 


Un épisode qui a laissé des traces

Depuis, on en a reparlé avec ma mère. J'ai compris des choses dans son attitude, mais je n'ai pas pardonné pour autant. J'avais l'impression de voir quelqu'un d'autre. N'importe qui, mais pas ma mère. J'aurais compris qu'elle me dise qu'elle a été très déçue, que j'aurais pu faire mieux, etc. Et qu'elle me pardonne mon échec, et passe à autre chose.
Il n'empêche, après les vacances, je me réinscris sans problème dans mon lycée pour une nouvelle année de Terminale. Je n'étais pas un élève à problèmes, alors même si c'était " sous réserve de place disponible", j'ai droit à de nouveaux camarades de classe, et un nouveau prof de philo. Dans les faits, je passe cette année là, de 6 de moyenne dans cette matière... à 13. Je m'améliore dans à peu près tout. Je réussis à m'intégrer dans cette classe, qui sera une de mes meilleures années scolaires, et en plus, il y a des geeks dans le lot, avec qui je parle notamment jeux vidéo. Je dis "nouveaux camarades de classe", mais une tête ne m'était pas inconnue, puisque je la côtoyais depuis la Première : Un des garçons du rattrapage. Nous discutons de nos déboires, et lui aussi a passé l'épreuve de philo avec "M. Baba Cool".  Il lui aurait fallu 12 pour avoir le bac... il n'a eu que 11 et l'autre matière n'a pas suffi, et tout comme moi, il n'a pas su sa note de philo tout de suite. Il a dû être encore plus dégoûté que moi. J'espère que sa mère aura été plus indulgente...
Mais lui comme moi aurons le bac, du premier coup, lors de la session de 2001.

La décision

Cet épisode, je ne l'ai pas oublié. Même  presque 20 ans plus tard. Et comme dit la chanson, on oublie jamais rien, on vit avec.  Mais là, il m'est réapparu en pleine figure il y a quelques jours. En effet, c'est fou ce que l'on retrouve lorsque l'on déménage ou vide une pièce, même dans un vieux classeur. Je l'ouvre, le parcours et y découvre de vieux bulletins scolaires à mon nom. Et le premier n'est autre que le bulletin des résultats du premier groupe d'épreuves du bac 2000. Il m'a suffi juste de regarder l'appréciation pour que ces souvenirs douloureux me reviennent dans un shot concentré, tout comme l'odeur du Labello suffit à me ramener en début 1992. Oui j'associe certaines odeurs et certains objets à mes souvenirs. Cela s'appelle la "synesthésie". 
Alors, j'ai pris une décision. J'ai extrait de sa pochette où il s'affichait fièrement ce bulletin informe et carboné avec une écriture impersonnelle disant "premier groupe passe second groupe" et la signature du président du jury. Je l'ai déchiré en lambeaux au dessus de la poubelle en disant ceci : " Je déclare nul et non avenu ce bulletin du bac 2000 m'envoyant au rattrapage." Depuis, j'ai eu ce foutu diplôme, et d'autres, malgré un parcours chaotique. Notamment une licence LEA et une licence pro techniques d'édition. Alors ce bulletin de malheur, ne méritait qu'une chose : aller dans la poubelle, définitivement. 
Sans doute une façon pour moi de tirer un trait et de me libérer en partie d'un passé douloureux. Un geste qui semble anodin, mais c'est fou le nombre de petites actions insignifiantes qui ressemblent parfois à des bonds de géant.






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