L'appel du 17 juin

C'était il y a 11 ans et pourtant, je m'en souviens comme si c'était hier.
Nous sommes donc le 17 juin 2008.  Je suis hospitalisé depuis trois jours suite à une tumeur découverte dans l'intestin. C'est LE grand jour, celui où je vais être opéré. A vrai dire, j'avais déjà été opéré d'un strabisme en 1990, mais ce n'était pas une question de vie ou de mort.
Jusque là, j'ai perdu 18 kilos en moins d'un an.
La décision du jour de l'opération a été décidée la veille dans la soirée, en présence des parents. Cependant, le docteur B. me dit que la tumeur n'est hélas pas rassurante, malgré l'absence de métastases.

Je me souviens de ce 17 juin. Le temps était très beau, comme aujourd'hui. Ma chambre, dans une clinique du Loiret, a les murs jaunes, ce qui la rend lumineuse. A ma gauche, j'ai le portant à perfusions. Vers midi, on me donne un comprimé pour le shooter un peu.  Effectivement, je somnole devant la télé. Il était aux environs de 13 h lorsqu'un brancardier vient me chercher avec ces mots :
"Bonjour, on m'a chargé de vous emmener au bloc".  Allons-y alors. Nous passons par un ascenseur spécial. Le bloc opératoire se trouve en sous-sol, et je suis parqué avec d'autres patients devant les salles d'opération, la clinique en a 8 au total.
De là, je vois les portes automatiques s'ouvrir, avec des médecins, des infirmières de bloc aller et venir. Je comprends bien vite que celle dont le carreau est opaque signifie qu'une opération est en cours. Je me pose des tonnes de questions . Laquelle m'a été réservée ?  Il faut qu'ils préparent la salle avant de m’accueillir. La ventilation fait un bruit du tonnerre. Et si je ne survivais pas à l'opération ?  Et si c'était encore plus grave ?  Je repense à mes collègues de l'époque. Toutes des femmes dans un petit centre d'appels d'un labo agricole. J'étais le seul homme du lieu. Pensent-elles à moi ? Se plongent-elles dans le travail en attendant de mes nouvelles ?
Je revois le ballet du personnel médical. Je me dis aussi que cette opération va me sauver du mal qui me ronge intérieurement. Et je ne souhaite à personne de connaître ça.  Après tout, qu'est ce qu'une opération de l'intestin par rapport à une vie entière ?
On m'emmène vers 14 heures vers une des portes automatiques. Lorsque j'arrive dans la salle, cette dernière est claire et lumineuse, tout le monde est en tenue chirurgicale, voire ressemble à des cosmonautes. On me met une couverture chauffante. J'ai à peine le temps d'entendre " allez, on dort", que c'est dores et déjà le trou noir.

Lorsque je reviens à moi,  j'ai l'impression que tout cela n'a été que pour une seconde. Une longue seconde, qui aura duré au moins quatre heures. J'étouffe. Mon premier geste en salle de réveil aura été d'enlever le masque à oxygène . " Non, non, gardez-le encore un  peu", me dit l'ange gardien qui veillait sur moi. Mais je ne peux pas.  J'ai mal. Je suis vaseux, mais je sens que j'ai un énorme pansement. Ils n'ont pas dû y aller de main morte, même sous cœlioscopie. Au bout d'un moment,on me ramène dans ma chambre. J'entends le docteur B. dire à mes parents "ça s'est super bien passé" et ma mère  dire " je vous remercie", d'une voix mi-angoissée et mi-soulagée.

Le soir, je n'ai pas la force de mettre le match de l'Euro 2008 opposant la France à l'Italie. J'apprendrai le résultat le lendemain matin, les seconds ont gagné 2 à 0 et les hommes de Domenech ont fait une prestation catastrophique.  Mais désormais, je sais. Il y a plus grave que de perdre à un match de foot. Moi, je suis vivant. Je sais quelque chose  j'ai gagné une bataille, mais pas encore la guerre. Mais que sont 20 centimètres d'intestins en moins par rapport à une vie entière ? Je dois m'estimer heureux, on ne m'a pas mis de poche intestinale. Tant mieux, parce que je crois qu'à 26 ans, je ne l'aurais pas supporté. Une pensée à ceux qui ont ce qu'on appelle des "stomies", ce n'est pas facile tous les jours.

Si j’ai écrit cela, ce n'est pas par pur désir de raconter ce que j'ai vécu. Juste pour soulager mes souvenirs sur un épisode de ma vie que je n'arrive hélas pas à oublier. Et que mon corps me rappelle parfois à mon bon souvenir. Je me sens désormais un peu plus soulagé.

Commentaires

Articles les plus consultés